vendredi 17 novembre 2017

Extrait de Bascoulard/Opalka, Propos 2 éditions. Louis Soutter/Louise Bourgeois











D’une autre Suisse, celle de Louis Soutter, d’une autre France, celle de Louise Bourgeois

Pour Paul Nizon



Le titre choisi par P.N dans le catalogue de l’exposition Louis Soutter s’attarde sur un des titres des œuvres du peintre suisse : L’âme qui s’en va du seuil des fleurs au cycle des pierres noires.
Dans une carte postale adressé à son cousin Le Corbusier, L.S. écrit : Perdu la route.
Alors peindre, se barbouiller d’encre, poursuivre.
Nous mourrons en route mais nous continuerons de marcher dans l’encre et la boue. Jusqu’au dernier cycle.
Ainsi le temps rythme l’œuvre de Louis Soutter au travers des titres qu’il choisit tels des seuils :

             L’aube

L’aurore boréale
De Minuit au jour
Midi des nonagénaires
Depuis l’Ascension à Pentecôte
Noël au crématoire
Visages, mais de Gruyère. Ici la Suisse.
Entre nus, dit l’une.
L.S : Suisse/Etats-Unis/Suisse.
Et tout se lit et s’écrit et se crie :

            Amants aurons-nous un logis d’hiver ?


Un seuil, un cycle, une route : la Suisse de Louis Soutter.

 



A lui, ombre chétive, j’associe une ombre vive, celle de Louise Bourgeois, la femme aux araignées, la femme-maison, l’inventrice de Sébastienne, la percée de flèches.
Chétive ombre de Louis Soutter, le peintre affamé.
Ombre vive de Louise Bourgeois, l’enflammée.
L’un se frotte au noir, l’autre aux pierres, aux totems, à la vaste étendue artistique des Amériques dont lui n’est pas revenu, dont elle tire sa ressource.
Mystère de l’un, mystère de l’autre.
L’un épuisé revient d’un pays trop grand pour être son pays.
L’autre ne revient pas en France, ou si peu.
L’un est mort depuis longtemps (1942).
L’autre vit encore malgré son âge. Ou grâce à lui.
On ne sait avec elle dire ce qu’il faut.
Tous deux sont là.
En face, à côté.
Par moments bavards, par moments silencieux.
Quelquefois facétieux.
A d’autres moments, pleins de mélancolie.
Parfois insupportables.
Et absents.






               Louis Soutter a les mains noires, le corps aussi, et maigre.
Pourtant sa souplesse l’écarte du monde des nonagénaires et des vieillards gâteux qui peuplent Ballaigues.
Louis Soutter a-t-il enfoui un jour ses mains dans la terre suisse ?
En tout cas elles sont, ces mains, couvertes d’encre et de sang, car l’encre, écrivait-il à son cousin, était son sang.














             

Louise Bourgeois :

France/Etats-Unis
Choisy-le-Roy/New York
Un mari, des fils
Maison détruite/maison réinventée

Louis Soutter :

Suisse/Etats-Unis/Suisse
Morges/Chicago/Ballaigues
Une épouse, pas d’enfant
Maison familiale/Maison conjugale/Asile




Trapeau lit-on sur un des dessins de Louis Soutter. Mais ce n’est pas le titre. L’inscription reste visible cependant. Ni barrée, ni effacée. Bien présente. Ce trapeau est-il un drapeau ou un troupeau ?

Et que signifient les lettres SD, elles aussi bien visibles ? Ces lettres me troublent. Quelque chose est là et je ne sais pas le lire exactement. Comme si mon nom, ou tout au moins les initiales de mon nom, étaient inscrites dans le dessin. Est-ce à moi que s’adresse ce trapeau ? ou à Soutter Détruit, SD ?




Juste une couleur. Un pays. Un nom sur du blanc. Bleu.








Louise est la forme féminine du prénom Louis.
Bourgeois a un féminin, mais c’est ici le patronyme de l’artiste et en français il ne s’accorde pas avec la personne qui le porte.
Car Louise Bourgeois est une femme, une artiste, la fille d’un homme, la fille d’une femme.
La maison dans laquelle elle a vécu enfant a été détruite et remplacée par un théâtre.
Un temps cette femme a travaillé sur sa terrasse qu’elle utilisait comme un atelier, à new York.
Cette femme a gardé son nom d’enfant française, même lorsqu’elle s’est mariée à un homme américain.
C’est un élément à prendre en compte.
Elle a eu des fils.
Uniquement des fils.
Et a continué à porter son nom de fille du père : Louise Bourgeois.
On l’a montrée tenant un phallus géant et riant avec malice.
Louise Bourgeois, la déplacée, dit d’elle Jean Frémon.





Louis Soutter dans une de ses lettres adressées à son cousin, utilise le mot âme,
mais aussi le mot maison
auquel il adjoint le mot minimum. Auquel j’ajoute le mot PAIN que nous déposons sur la TABLE pour faire MAISON, le pain et le feu, maison sans fenêtre, précise l’artiste, et la maison se tient en équilibre, debout, en compagnie de celui qui mange peu
et de celle,
face au feu,
qui dévore le pain.





Louise Bourgeois sort de la maison, un foulard rouge au poignet, ce n’est pas son sang qui coule mais la couleur, toute la peinture est devenue rouge, l’araignée et la mère, la main et le père, et ici tout prend son vol et un air de feu d’artifice.
Louise Bourgeois n’a plus de maison.
Alors elle en construit une, toute blanche, en carton. Celle de l’enfance, ce que les architectes et les petits garçons appellent une maquette, une maison française à Choisy-le-Roy et depuis New York, Louise invente des femmes-maison pour se protéger et habiter avec elles.



A l’intérieur du toujours plus dedans, Louis Soutter exécute une danse à l’encre où les doigts et le corps inventent un début d’histoire.
A l’intérieur de l’asile, à l’intérieur du mot, à l’intérieur de sa maigreur, Louis Soutter inventorie le monde, à l’intérieur de sa peau, dessinant le territoire du jeûne.
Il est le premier artiste de la jeune Suisse affamée et rejoint son compatriote Robert Walser dans l’exercice obstiné de la marche.
A l’intérieur du paysage suisse, tous deux creusent des tunnels et dessinent des lignes de vie.




Un phallus d’or, dit Louise Bourgeois, c’est ce que j’aurais voulu accrocher au mur de la maison de Choisy. Le rendre bien visible depuis la table du déjeuner où mon père tous les dimanches épluchait une orange, jouant à me ridiculiser, croyait-il, moi à qui tout manquait, et le sexe, faisant rire les convives à mes dépens en agitant une pelure d’orange où se dressait un petit phallus, le même homme qui exigeait de nous qu’on découpe au ciseau les parties génitales sur les tapisseries que nous restaurions pour les acheteurs américains.
Ce phallus d’or existe chez Irini Athanassakis. Il éclaire la maison d’une lumière étrange.
De quel monde est-il la clé ?
En tout cas il ouvre des séries de maisons, maisons de la mère, maisons du père, maisons des pays aussi où il arrive que vivent des artistes comme Louise, Louis ou Irini.









Sylvie Durbec, 2010-2017

















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